Indianoceania

Ethique et limites de
l’archéologie funéraire
dans l’Océan Indien

 

Fouille sépulture Antsiraka Boira (Mayotte)
Source : Martial Pauly, touskibouge.com

L’archéologie est à la fois une discipline scientifique et culturelle. Cela met les archéologues dans la position où ils sont confrontés à des enjeux éthiques, de manière à bien se comporter vis-à-vis de l’objet d’étude. Appliquer l’éthique à l’archéologie requiert un questionnement réflexif depuis la mise en œuvre des problématiques de recherche, les processus de la fouille jusqu’à la publication et médiatisation des résultats. Nous avons pris quelques exemples pertinents qui visent à montrer l’importance de l’éthique dans cette discipline.

La vie sociale s’enracine dans la communication En archéologie, une mauvaise communication peut devenir un obstacle pour la réalisation du travail, surtout si les archéologues travaillent sur la culture des autres. Les discours scientifiques après les recherches entrent parfois en conflit avec les traditions orales locales. Par exemple, les recherches archéologiques effectuées par Grandidier et Jully[i], dans la nécropole de Vohémar[ii], ont contredit les traditions orales locales auxquelles elles prêtent des exploits légendaires symbolisés par la présence du géant vagabond Darafify. Cette situation nous rappelle l’affirmation d’Alfredo González-Ruibal (2019) : « les archéologues et les populations autochtones n’habitent pas les mêmes réalités et ne devraient pas prétendre le faire ».  Les archéologues peuvent être considérés comme des colonisateurs de la pensée autochtone. Donc, ils sont obligés à adapter des approches en fonction du contexte social, et aussi à collaborer avec la population locale. Mais il faut faire attention à l’instrumentalisation des résultats de recherches à des fins idéologiques et économiques ; c’est-à-dire à un processus de construction identitaire avec lequel un groupe est plus valorisé que les autres. Cela engendre plusieurs changements sur l’interprétation de l’histoire et peut aller jusqu’à des conflits ethniques.

Certes, on constate une libération économique avec laquelle certains individus ou groupes participent activement à l’exploitation économique de leurs patrimoines tendant vers la commercialisation des vestiges. D’autres vendent leurs terres ancestrales pour des retombés économiques. L’avancé du capitalisme mondialisé contribue alors à la perte de la culture, sauf si l’exploitation enfreignent les règles coutumières locales. C’est à ce point que les chercheurs étudient préalablement la culture locale et doivent être capables de diffuser les informations justes et exactes sur les buts du travail dans la localité.

La prise en compte de la diversité sociale est indispensable car les réalités varient d’un endroit à un autre. Vers la fin du XXème siècle, une nouvelle approche de la fouille des sépultures, archéothanalogie[iii], est apparue afin de porter intérêt sur les restes humains découverts en contexte archéologique. Cette approche permet de mettre en valeur le défunt au cœur des discours sur les pratiques funéraires. Pour les malgaches et les mahorais par exemple, les nécropoles et les tombeaux sont très importants et il est encore difficile d’y faire des recherches sans avoir effectué des rites ancestraux. Hormis les sites n’ayant plus de propriétaire, comme le cas qui s’est produit à La Réunion en 2007 : le passage d’un cyclone a révélé la présence des ossements humains sur le littoral Saint-Paulois. Les archéologues en ont fait des recherches avec avant de déplacer les ossements dans des cimetières.

Tout compte fait, la création d’un lien entre les archéologues et les populations est fondamentale et est défendue par Charlotte Blein, Agnès Vandevelde-Rougale et Nicolas Zorzin. Ces auteurs proposent de faire plus de médiation et une éducation auprès du public sur les propos de la recherche en vue d’éviter les malentendus et les fausses informations.

[i] Ils ont travaillé sur la culture Rasikajy en 1899. Le mythe du géant Darafify connu sur Ia côte orientale de Madagascar symboliserait peut-être l’expansion des Rasikajy, commerçants d’origine arabe, qui ont aménagé Ie littoral (Cf. Vérin Pierre, Rétrospective et problèmes de l’archéologie à Madagascar).

[ii] Au Nord-Est de Madagascar. Parmi les sites Rasikajy, seule la nécropole de Vohémar a fait l’objet d’investigations approfondies.

[iii] Appelé aussi archéo-anthropologie funéraire, elle tend vers l’étude des aspects biologiques, sociologiques et culturels de la mort dans les sociétés autochtones (Cf. Bruno Boulestin et Henri Duday).

Carte de localisation de Vohémar
Source : Martial Pauly, touskibouge.com

BIBLIOGRAPHIE

Gransard-Desmond J.-O. (2019), « Professionnels, bénévoles, amateurs et citoyens : des acteurs de la recherche pour quels apports ? », in: Ségolène Vandevelde and Béline Pasquini (dir), Ethics in archaeology, Revue canadienne de bioéthique / Canadian Journal of Bioethics
2/3, p. 166-193.


L’archéothanalogie ou archéo -anthropologie funéraire, Archéologie de l’Océan Indien, in https://archeologie.culture.gov.fr consulté le 26 Mars 2024 Norén Anders et VandenBroek Angela Kristin, Principes of Archeological Ethics. 1996. Society for American Archeology. North and South America : Archeological Ethics Database, in https://www.saa.org/career-practice/ethics-in-professional-archeology consulté le 28 Mars 2024


Pasquini Béline, Vandevelde Ségolène. Quelques propositions nouvelles pour l’éthique en archéologie. Canadian journal of bioethics / Revue canadienne de bioethique, 2019, l’Éthique en archéologie / Ethics in Archaeology, 2 (3), pp.243-250. hal-02385507

Vandevelde Ségolène et Pasquini Béline.2018. Colloque archeoethique. Paris : Comité d’éthique du CNRS, in https://archeoethique.wixsite.com/colloque consulté le 27 Mars 2024


Vérin Pierre. 1962. Rétrospective et problèmes de l’archéologie à Madagascar . Paris : BAM,
consulté le 29 Mars 2024

Liste des figures

Figure 1 : Fouille sépulture Antsiraka Boira (Mayotte)

Source : Martial Pauly, touskibouge.com

 

Figure 2 (note de fin) : Carte de localisation de Vohémar

Source : Gracia Raharinosy, Avril 2024

Unité, diversité et
circulation des
populations dans
l’Océan Indien

La Traite négrière de la Côte orientale de l’Afrique vers Bourbon au XVIIIème siècle

Source : Le Mauricien, 2022

L’histoire des populations de l’Océan Indien est complexe, naissant par la suite de diverses migrations humaines, des échanges commerciaux et culturels ainsi que la colonisation. A partir d’environ 2000 ans av. J.-C., les austronésiens sont les premiers à tracer des routes maritimes grâce aux vents et courants réguliers reliant l’Asie et l’Afrique. Depuis le VIIème et le VIIIème siècle, la partie Est de l’Afrique a été une zone de commerce pour les Arabes et les Perses. D’où ils ont établi des colonies, pour en faire des points de vente fixe, sur le long des côtes orientales africaines, de Comores et de Madagascar. Ces derniers ont accueilli des migrants précoloniaux tandis que les Mascareignes et les Seychelles sont restés à l’écart jusqu’au XVIème siècle, l’époque avec laquelle les européens ont commencé à explorer l’Océan Indien.
Le premier point commun des îles de l’Océan Indien réside dans les origines de leurs ancêtres ; il s’agit des asiatiques, des africains, des arabes et des européens. Les asiatiques sont les Austronésiens, les Indonésiens et les Malaisiens qui ont apporté avec eux leurs langues, leurs cultures et leurs divers savoir-faire. Ils sont venus avec des plantes alimentaires telles que le riz, l’igname, la banane, ainsi que diverses techniques agricoles comme la riziculture en terrasse. Ensuite, les Arabes et les Perses ont établi des comptoirs de commerce dans toutes les îles de l’Océan Indien, des esclaves en provenance d’Afrique font partie de leurs objets de vente. A part cela, ils ont aussi appris l’astrologie et apporté leur religion. Quant à eux, les africains sont originaires du Gabon, Centrafrique et Afrique du Sud, appelés Bantous. Leur migration est due principalement au commerce des esclaves qui a été mis en vigueur, surtout au XVIIIème siècle, à partir de la traite transatlantique, arabo-musulmane et orientale. Arrivés à destination, ces esclaves sont amenés à faire des travaux agricoles, les exploitations minières et maritimes. Ils ont alors amené de nouvelles techniques, surtout avec l’élevage bovin et les cultures vivrières. Et les européens s’agissent notamment des Portugais, des Néerlandais, des Français et des Britanniques. C’est à partir du XVIème siècle qu’ils ont exploré et puis colonisé l’Océan Indien et ses alentours. Jusqu’au XXème siècle, les populations de l’Océan Indien, étant colonisées, sont les fournisseurs de main d’œuvre et des produits agricoles pour ces européens. La majorité des esclaves sont originaire de Madagascar et de l’Afrique orientale. La carte (figure 1) que nous avons ici présente le trajet parcouru par ces esclaves.
Des migrants, d’origines confondues, ont formé des sociétés multiculturelles : l’Océan Indien est devenu comme un foyer de culture et de civilisation. Nombreux sont les similarités culturelles qu’on peut observer dans chaque île, comme le cas des traditions funéraires par exemple. Les sociétés à Mayotte comme à Rodrigues pratiquent les mêmes traditions telles que les rites funéraires, les cérémonies de deuil et les entretiens de tombeaux sont des évènements collectifs dont l’objectif est de consolider les liens familiaux et sociaux. Pour Madagascar, les recherches archéologiques ont contribué à la découverte des vestiges des premières migrations. Des cimetières islamiques ont été découverts dans le Nord-Ouest de l’île, datant du Xème siècle, et témoignant la période de la civilisation swahili-malgache.

La famille austronésienne
Source : Jacques Leclerc, 2005